C'est peut-être en
cette église que Jean Valentin Vastey épousa Claire Dumas. La place
centrale de Jérémie porte aujourd'hui le nom des Dumas.
Les Dumas
Antoine
Davy, marquis de la Pailleterie, est un aristocrate désargenté. Il se
consume dans sa gentilhommière de Bielleville-en-Caux, près de Bolbec.
Tandis qu'à Haïti, ventrebleu, son frère cadet se frise les moustaches
dans sa plantation de canne à sucre. Alors, il se décide à le rejoindre.
En 1743. 1760 avancent d'autres chroniques.
Sur place, la
brouille s'installe bientôt entre les deux frères. Le marquis disparaît.
On le croit mort. Mais non. C'est son cadet qui rend l'âme. Davy refait
surface. Où était-il ? Dans les bras d'une jolie négresse, Marie
Cessette, achetée à M. de Maubielle. Elle lui a donné trois enfants.
L'aîné porte le nom de Thomas Alexandre. Fils de noble. Né esclave...
Mais
l'héritage d'un château rappelle le marquis au Pays de Caux. Il lui
faut partir défendre ses droits face à un neveu. Comment réunir l'argent
du voyage? Tout simplement en revendant femme et enfants. Il trouve
preneur en la personne de M. Caron. Avec clause de rachat.
Le premier général noir
Cette
clause, il va s'en servir une fois en France en y faisant venir son
fils aîné, Thomas Alexandre. Nous sommes le 3 août 1775. Deux ans plus
tard le marquis vend enfin le château à son rival de neveu. 10.000
livres. De quoi faire bombance. Père et fils s'installent à
Saint-Germain-en-Lay. Le jeune homme va recevoir une éducation, goûter à
la vie parisienne, suivre son père dans ses tribulations libertines.
Jusqu'à leur brouille quand notre marquis décide de se remarier avec sa
dame d'intérieur. Nous sommes le 2 juin 1786. Thomas s'engage
immédiatement dans l'armée et prend pour nom de guerre celui de sa mère:
Dumas. Il a alors 22 ans. Et le même mois, le marquis casse sa pipe. Le
voilà riche, Thomas Alexandre. Dragon de la reine... il a trois amis!
De quoi inspirer un roman. Ce sera plus tard Les trois mousquetaires. La
révolution. Les campagnes. Les victoires. Dumas est le premier général
de couleur dans toute l'histoire des armées d'occident. En 1802, retiré
sans le sou à Villers-Cotteret, méprisé de Napoléon, le voici père d'un
garçon nommé Alexandre. Oui, Alexandre Dumas...
Bref, voilà à
quelle famille s'allie notre Jumiégeois lorsqu'il épouse Claire Dumas
vers 1780. C'est une sœur de Marie Cessette, abandonnée du marquis.Une
fois marié, Jean-Valentin Vastey va s'établir cette fois dans le nord du
pays, à Ennery, près de Marmelade. Et c'est là, en 1781, que lui vient
un premier fils. On l'appelle pompeusement Pompée-Valentin. Valentin! On
n'a pas oublié le saint patron de Jumièges...
Et tout bascule
Sur
la route des Gonaïves à la Marmelade, Ennery est un bourg noyé dans une
vallée paradisiaque. Là, Jean Valentin Vastey règne sur une
"habitation", autrement dit une plantation. Il est entouré d'esclaves.
Canne à sucre, café, tabac... Partout claquent les fouets. Mille
atrocités se commettent ici et là. Pas chez Vastey, paraît-il...
Après
Pompée Valentin, Claire Dumas donne au Jumiégeois deux autres enfants.
Marie Emile, le 8 février 1790. Et encore Léo, le seul de ses deux fils
qui assurera à Haïti la postérité du nom.
Mais Haïti tremble, les
événements se précipitent. Août 1791: les esclaves se soulèvent. On
pille. On égorge. Bientôt un homme émerge: Toussaint Louverture qui
s'allie aux Espagnols étalis à l'est de l'île. 29 août 1793:
l'affranchissement des esclaves tente de calmer les esprits. La France
tient à cette colonie. C'est la plus juteuse. C'est alors que la région
des Gonaïves s'enflamme. L'homme fort des insurgés, c'est un certain
André Vernet qui se rallie à Louverture. Vernet ! Retenez ce nom. Ce
sera le protecteur du jeune Pompée. 1794: la Convention abolit
officiellement l'esclavage dans toutes nos possessions. En décembre,
Louverture comprend que ses intérêts sont du côté des révolutionnaires
français. Il fait volte-face et se rallie à l'autorité
parisienne.Toujours tenue par Vernet, la commune d'Ennery revient donc
dans le giron français. Dès lors, cette ville sera la base arrière de
Louverture. Il y possède une habitation...
Le fils prodigue
Poète,
petit-fils de Jean Valentin Vastey, Oswald Durand l'assurait avec
d'autres: A 15 ans, Pompée Valentin Vastey quitte son père pour
s'engager dans les troupes de Toussaint Louverture. Il aurait ainsi
tourné le dos au drapeau français pour se ranger derrière la bannière
espagnole. 15 ans, voilà qui nous ramène à l'année 1796. Or, en 1796,
Louverture s'est déjà rallié depuis deux ans à la République française.
Alors, l'engagement militaire de Pompée Valentin reste nimbé de brumes.
Une chose est sûre: les Vastey habitent Ennery, Vernet tient Ennery,
Louverture fréquente Ennery. C'est donc à Ennery que Pompée-Valentin fit
les rencontres qui allaient sceller son destin.
Publié à Paris
Maintenant,
on constate qu'un recueil à son nom est publié en 1799 dans la capitale
française: "Les délassements poétiques ou la cruche d'Hypocrène". Rien
de bien militant pour un insurgé.L'année suivante, en 1800, il signe
encore un ouvrage imprimé sur les bords de la Seine "Anaïde et
Alciadore, poème érotique en quatre chants." Ce qui fait dire à La
France littéraire qu'il fut «d'abord littérateur à Paris.» Un autre
auteur l'affirme aussi: « Il reçut son éducation en France.» Alors,
avant ses 20 ans, le jeune Pompée Valentin s'est il éloigné un temps
d'Haïti ? A-t-il goûté aux délices parisiens comme son cousin Dumas?
Étudié les lettres? Vastey le démentira lui-même comme nous le verrons
plus loin. Cependant, dans ces années-là, nombre de fils de colons ou
d'affranchis effectuèrent des études à Paris. D'abord à Liancourt puis
au collège de La Marche qui deviendra le lycée colonial. Des listes
d'élèves existent. On y retrouve les fils de Louverture. Mais pas
Pompée. Reste qu'il est permis de s'interroger. Dans un pays en proie à
l'insurrection, imagine-t-on un jeune garçon composer des poèmes pour
les adresser par la voie des mers dans la capitale du pays qu'il combat.
Ce n'est sûrement pas de son Jumiégeois de père qu'il reçut la solide
formation lui permettant de devenir très tôt secrétaire d'Etat. Alors...
Sauvé par ses esclaves
Juillet
1801: Louverture se fait gouverneur à vie. Avec des idées
indépendantistes. Du coup, dès 1802, Bonaparte adresse à Haïti jusqu'à
70.000 soldats français pour assurer sa souveraineté. La mission est
d'abord commandée par son propre beau-frère, le général Leclerc.
Louverture est arrêté. Déporté en France. Il y meurt. Soulèvement,
alliance des mulâtres et des noirs. Ce sera le premier échec militaire
de notre grand stratège au bicorne. Son beau-frère est même emporté par
la fièvre jaune. Cuisant revers gommé des manuels scolaires.
L'indépendance
de la colonie est proclamée le 1er janvier 1804 par Dessalines, ancien
bras droit de feu Louverture. Cette partie de l'île reprend son nom
hérité des indiens Arawaks: Haïti, première république noire. Mais avant
la fin de l'année, le 22 septembre, Dessalines se fera empereur. Le
pays se déchire toujours. On massacre encore les blancs. Daté de 1936,
voici le témoignage d'un descendant de notre Jumiégeois: Jean-Marie de
Vastey, son arrière-petit-fils, alors avocat à Saint-Marc. Écoutons-le
attentivement.
« En 1895, le vieux Djebou, un ancien esclave de
mon bisaïeul, Jean Valentin Vastey, vint de Nouvelle-Flandre
(Mont-Rouis) en la commune d'Ennery, à Plaisance, saluer mon père Léonce
dans le but de connaître les descendants de son ancien maître. Il nous
déclara qu'il était tout jeune lors du massacre des blancs, en 1804. Il
se souvenait bien du blanc, Jean Valentin Vastey. Celui-ci avait
toujours été pour ses esclaves d'un bonté remarquable. Jamais il ne les
maltraitait, il avait pour eux des soins spéciaux qui adoucissaient les
maux de l'esclavage. Aussi, ils le considéraient comme leur père. «
C'été, comme on dit ici, yon bon papa pitite», c'est-à-dire c'était un
bon père de famille. « Quand donc arriva le jour de la débâcle, jour de
représailles, de reddition de comptes, Jean Valentin Vastey n'éprouva
aucune crainte de ses nègres, il ne connut aucune trahison, les siens
n'eurent rien à souffrir. Il n'avait point de dettes à payer pour avoir
violé les droits innés d'une partie de l'humanité. Ses chers nègres,
fidèles jusqu'au bout à celui qu'ils regardaient comme leur père, le
cachèrent d'abord aussi longtemps que ce fut possible. « Quand ils
comprirent qu'ils ne pouvaient plus impunément et sans danger pour lui
le protéger contre les ordres de tuerie ni contre la haine des autres
nègres, ils résolurent de l'embarquer pour l'étranger. Pour ce faire,
ils lui noircirent le visage, les mains et les pieds jusqu'aux genoux,
retroussèrent son pantalon à la manière des nègres, lui enveloppèrent la
tête d'un mouchoir bleu, le juchèrent sur un âne et le conduisirent, de
nuit en nuit en cet état, le cachant au lever du soleil dans les bois,
jusqu'au bord de la mer du Limbé où une goélette le prit à son bord.
Bien des larmes coulèrent de part et d'autre ce jour-là. « Voilà ce que
nous raconta Djebou, ce grand noir de belle prestance, intelligent,
pendant qu'il nous caressait de sa grosse main de géant, heureux de
retrouver en nous quelque chose de son maître ! Il regagna la
Nouvelle-Flandre et nous n'avons eu depuis aucune nouvelle de lui.»
Ou est passé Vastey?
Témoignage
intéressant. Tout à l'honneur du Jumiégeois. Mais témoignage douteux.
En 1895, voilà un vieillard qui prend la route pour raconter des
événements survenus en 1804. Soit 91 ans plus tôt. Mais quel âge a donc
ce "vieux Djebou", ce "grand noir à la belle prestance" qui se souvient
si bien du foulard bleu. 100 ? 110 ans ? « Nous n'avons eu depuis aucune
nouvelle de lui.» On en conviendra aisément.
S'il y a maintenant
un part de vérité dans ce récit, des questions restent encore sans
réponses. Manifestement, Jean Valentin Vastey quitta définitivement
Haïti en 1804. Seul. Laissant derrière lui sa famille. Pour quelle
destination? Tout est envisageable: une île des Caraïbes ? la Louisiane ?
Et pourquoi un retour à la case départ: Jumièges. Rappelons qu'il
quitte Haïti à la cloche de bois. Sur un âne. Sans le sou quand d'autres
planteurs trouvent refuge à Cuba avec fortune et esclaves... Et puis
une autre question se pose: ou donc est son fils aîné pendant ces
événements ?..
Le nègre blanc
Son
fils, nous allons bientôt le retrouver. Très en vue. En 1804, année de
l'indépendance, année où son père prend la fuite, il est chef de bureau
du ministre des Finances, André Vernet, sous le gouvernement Dessalines.
Les nominations sont intervenues le 1er janvier.Si tous les
protagonistes de l'histoire haïtienne ont été immortalisés sur la toile,
je n'ai pas encore trouvé pour l'heure de portrait de Pompée Valentin
Vastey. Simplement une description physique d'un certain Vandercook.
Vastey est mince, petit et porte court des cheveux châtain virant sur le
roux. Le roux ! Nombre de Jumiégeois avaient jadis cette couleur de
cheveux. Sa peau s'apparente à un vieux parchemin et Pompée, assure
Vandercook, aurait presque pu passer pour un blanc. Du reste, il le
qualifie de "nègre blanc". Et nous affirme qu'il a proscrit de sa
mémoire le souvenir de son père. Sa mère ? Il ne s'en souvient pas plus.
Dans ses écrits, Pompée Valentin nous laissera entendre qu'il fut
esclave et traité comme ses pairs dans les pires conditions. Étonnant
pour un fils de maître? Non. Chez les Dumas, par exemple, le propre fils
du marquis de la Pailleterie fut esclave comme on l'a vu. Et vendu 800
livres. Il n'est pas rare de voir un colon torturer, tuer sa propre
concubine noire dans les pires atrocités. Haïti est un vaste camp de
concentration. Un vaste camp de la mort...
Alors, esclave de son
père, Pompée Valentin? Esclave et rancunier au point de chasser l'image
paternelle de sa conscience? Voilà qui ne correspond pas au portrait
flatteur de Vastey père brossé par ses descendants. Vastey fils avait
tout de même l'esprit de famille. Du moins côté maternel. La preuve: il
épousa sa cousine germaine: Marie-Rose Dumas de La Pailleterie. C'est
une fille de Marie Cessette la délaissée. Vastey est donc par la même
occasion le beau-frère du général Dumas, père du romancier. De cette
union naîtront quatre filles: Malvina, Aricie, Améthyste et Alice.
Corrompu
Sous
le gouvernement Dessalines, Vastey est donc chef des bureaux du général
Vernet, fait prince des Gonaïves, qui cumule les fonctions de ministre
des Finances, de l'Intérieur, du Commerce, des Travaux publics et de
l'Instruction. Si bien qu'il ne peut raisonnablement mener de front
toutes ces responsabilités. Vastey gère donc les finances pour lui. Il
se trouvera des voix pour le soupçonner d'arrondir ses fins de mois par
des jeux d'écriture. Et de révoquer impitoyablement les chefs de service
qui ne marchent pas dans la combine. Voici se qui se dit encore de
Vastey à Haïti:
« Dessalines, ne sachant pas lire, s'en
rapportait au ministre des Finances qui lui-même était gouverné par
Vastey, le chef de ses bureaux. Le ministre des Finances et de
l’Intérieur était dans l’obligation de parcourir, chaque année, les
principaux quartiers de l'empire, pour vérifier les comptes des
administrateurs. Du Port-au-Prince il se rendit à Léogane. Vastey trouva
très irrégulièrement tenus les comptes de l’administrateur de cette
ville. II était descendu chez celui-ci qui l'avait accueilli avec
distinction. Au sortir d'un bain qui lui avait été préparé, il trouva
sur sa table un rouleau de doublons. II fit au ministre des Finances un
rapport favorable à l’administrateur. Vernet continua sa tournée. Des
employés dont les comptes étaient parfaitement en règle, mais qui
avaient négligé de faire à Vastey quelques gratifications, furent
destitués peu de temps après. [...] Dessalines disait de Vernet: "Mon
pauvre compère ne s'occupe qu'a faire de bons déjeuners et sa partie de
bête; il s'en rapporte à Vastey dont la bourse se remplit chaque jour."
Et il ne prenait néanmoins à 1'égard de Vastey qu'il aimait, aucune
mesure de rigueur.»
Dessalines se plaint encore en 1805 des
services de Vastey. A ses yeux, il a permis à des fils de colons ou de
mulâtres de récupérer des plantations considérées comme biens de l'Etat.
Et ce, au détriment des noirs.
1806: Dessalines est assassiné par
ses généraux, Pétion et Christophe. Puis les deux hommes vont se
partager cette partie de l'île. Christophe au nord, Pétion au sud et à
l'ouest.1807: Henry Christophe fonde en effet une république au nord de
l'île. Dans le sillage du ministre Vernet, Vastey passe avec armes et
bagages au service du nouveau maître.
Fait baron
26
mars 1811: Henry Christophe se proclame roi d'Haïti. Il compose la
commission législative chargée de proposer les projets de loi pour le
Code Henry. Vastey en est nommé secrétaire. Les travaux débutent en
juillet.
Décembre 1813. La tradition veut qu'à l'issue d'un
banquet, Christophe pousse le général Vernet à s'empoisonner. Après
quoi, il donna sa veuve, Justine Eléonore Chancy, au prince Jean.
Vastey, loin de s'en émouvoir, est promu secrétaire particulier du roi.
Il devient aussi le précepteur du prince héritier, Victor-Henry. On le
fait baron. Baron de Vastey. Imaginez la tête de ses cousins de
Jumièges. Qui ignorent sans doute son existence. Il a ses armoiries
ampoulées où le renard le dispute à la licorne. Sa devise ? Sincérité
Franchise...
Macabre mise-en-scène
11
novembre 1814: Vastey dirige l'arrestation de Franco Medina. Cet ancien
colon avait été envoyé en mission par Louis XVIII pour négocier un
retour d'Haïti dans le giron français. On le démasque lorsqu'il arrive
au Cap. Interrogé interminablement, condamné à mort, Medina va faire
l'objet d'une mise-en-scène morbide. On organise dans l'église du Cap
une cérémonie funèbre présidée par le roi. L'édifice est tapissé
d'ornements de deuil. Placé sur une estrade, près de son futur cercueil,
l'agent français doit entendre un Te deum, puis une messe de Requiem.
Vastey est de ceux qui prennent ensuite la parole pour l'accabler. Quand
Pompée Valentin s'exprime, tous les hommes de l'assistance dégainent
subitement leur sabre pour le pointer vers l'accusé. Qui s'évanouit.
Medina croupira finalement en prison.
Vastey publiera les
instructions secrètes remises à ses agents par Malouet, ministre de la
Marine française. Cette année là paraît surtout sous sa plume Le système
colonial dévoilé. Il y donne la liste des tortionnaires français, le
détail de leurs atrocités.
La voix du régime
Vastey
rédige ses ouvrages sur commande et participe à une guerre de plume
contre les républicains d'Haïti. 1815: Trois publications de Vastey: Le
cri de la Patrie, Le cri de la conscience et enfin Réflexions adressées
aux Haïtiens de l'Ouest et du Sud.
1816: Réflexions sur une lettre
de Mazères. Un texte fort sur le colonialisme. Et où Vastey lève le
doute sur sa formation. Oui, il est bien autodidacte: « Il n'est point
inutile que je prévienne mes lecteurs que je n'ai jamais fait une étude
particulière de la langue française, ils excuseront les fautes
d'élocution et de littérature qui doivent nécessairement fourmiller dans
les ouvrages d'un insulaire qui n'a jamais eu d'autres maîtres que ses
livres, d'autres stimulants que la haine des tyrans.»
1817:
Réflexions politiques sur quelques journaux français concernant Haïti.
Le livre est publié à Sans Souci, le palais du roi. En France, la
Bibliothèque universelle s'étonne de la qualité du propos: « On a peine à
se représenter que ce soit l'ouvrage d'un nègre et que celui-ci ait
fait son éducation depuis que le peuple d'Hayti a proclamé son
indépendance. »
Vastey est devenu l'idéologue officiel du jeune
royaume. Son publiciste, comme on dit alors. Le roi, le ministre des
Affaires étrangères, comte de Limonade, distribuent eux-mêmes ses
ouvrages. Son zèle lui vaudra d'être fait chevalier de l'ordre royal et
militaire de Saint Henry.
Père de la négritude
En
1819, après ses Réflexions politiques, Vastey publie cette fois un
Essai sur les causes de la révolution et des guerres civiles d'Haïti. Là
encore, en France, la Revue encyclopédique s'étonne: « Parmi les
écrivains d'Haïti, le baron de Vastey est le plus remarquable par
l'étendue de l'intelligence, l'originalité de la pensée et l'impétuosité
de l'imagination. Les divers ouvrages qu'il a publiés, attestent la
supériorité de ses connaissances. On y voit partout un esprit nourri de
la lecture des bons auteurs anciens et modernes, versé dans la
connaissance de l'histoire, et sans cesse occupé à puiser dans le passé
des leçons pour l'avenir. »
Vastey est le grand pourfendeur du
colonialisme dont son père était pourtant le pur produit. Fut-il "un bon
maître". Il fustige le clergé qui prêche l'infériorité et la soumission
de la race noire. « Nous avons brisé les hochets de la superstition
avec les chaînes de l'esclavage ! » Vastey n'en reste pas moins croyant:
« Ex-colons, êtres superbes et orgueilleux, reconnaissez donc dans ce
qui se passe à Hayti, la main divine et toute puissante qui vous châtie !
»
Un texte
de Pompée Valentin adressé à Malouet, esclavagiste
convaincu, brosse l'horreur de la condition noire:
«
Ont-il comme vous, ces colons, ont-il pendu des hommes la tête en bas,
les ont-ils noyés, renfermés dans des sacs, crucifiés sur des planches,
enterrés vivants, pilés dans des mortiers ? Les ont-ils contraints de
manger des excréments humains? Et, après avoir mis leurs corps en
lambeaux sous le fouet, les ont-ils jetés vivants à être dévorés par les
vers ? ou jetés dans des ruches de fourmis, ou attachés à des poteaux
près des lagons pour être dévorés par les maringouins ? Les ont-ils
précipités vivants dans des chaudières à sucre bouillantes ? Ont-il fait
mettre des hommes et des femmes dans des boucauts hérissés de clous
roulés sur le sommet des montagnes pour être ensuite précipités dans
l'abîme avec les malheureuses victimes ? Ont-ils fait dévorer les
malheureux par des chiens anthropophages, jusqu'à ce que les dogues,
repus de chair humaine, épouvantés d' horreur ou atteints de remords, se
refusassent à servir d'instruments à la vengeance de ces bourreaux qui
achevaient les victimes à demi dévorées à coups de poignard de
baïonnette."Vastey résume là tous les crimes déjà détaillés dans "Le
système colonial dévoilé."
Précurseur du concept "Black is
beautiful", Vastey s'identifie totalement aux Afro-haïtiens, oubliant
qu'il est quarteron, passant sous silence ses origines paternelles.
Nulle part dans ses écrits il ne fait allusion à son sang normand. Et
pourtant, la terre de Jumièges est gavée des os de ses ancêtres. Nulle
part non plus il n'évoque sa prime enfance, la plantation de son père.
S'il a épousé la cause des noirs, c'est qu'il a vu ici trop d'horreur
pour se revendiquer à demi-blanc. Cela dit, s'il multiplie les exemples
d'exactions, jamais il ne restitue de sa propre expérience.
«[Que
les colons] se souviennent de nos pénibles labeurs; qu'ils récapitulent
la masse d'or qu'ils pouvaient extraire de notre sang? pendant les dix
années de vie et de tortures qui était le terme supposé de notre
existence; notre genre de vie, trois heures de sommeil dans les
vingt-quatre heures, pour habillement quelques haillons, pour nourriture
quelques racines cultivées sur le terrain le plus ingrat de
l'habitation, dans nos heures de repos...
«L'orgueil, les
préjugés, l'avarice des planteurs avaient fait de l'homme noir une
espèce particulière et distincte de l'homme blanc; notre race avilie et
dégradée par eux fut assimilée au rang de l'oran-outang. Ils soutenaient
que par un raisonnement sophistique et absurde, que nous leur étions
inférieurs en facultés physiques et morales, et sur cette prétendu
infériorité, ils s'arrogèrent le droit barbare de nous réduire dans un
perpétuel esclavage et de nous traiter comme les plus vils des animaux.
Et de conclure sur la révolution haïtienne :
«
Parcourez l'histoire du genre humain, jamais vit-on un pareil prodige
dans le monde ? Que les ennemis des noirs citent un seul exemple d'aucun
peuple qui se soit trouvé dans une situation semblable à la nôtre, et
qui ait fait de plus de grandes choses que nous dans moins d'un quart de
siècle.»
Le "soit-disant" baron de Vastey, comme le qualifient
ses détracteurs, tout en s'inclinant d'ailleurs devant son talent, fut
l'artisan de la reconnaissance internationale d'Haïti. Il défend la
beauté de sa race, les valeurs de la civilisation africaine et compte
sur l'Angleterre pour l'épanouissement du contient noir. Bref, on le
qualifiera de père de la "négritude". Aimé Césaire n'a rien inventé...
Décapité
Le 20 août 1819, Vastey est promu maréchal de camp. On le fera encore Chancelier. Pour sa perte.
Les
ruines du palais de Sans-Souci. Là où Pompée-Valentin Vastey fut
arrêté...Christophe a peu a peu sombré dans la mégalomanie, faisant suer
sang et eau aux Haïtiens pour se faire construire un palais
gigantesque: Sans-Souci. Objet de la fureur populaire, trahi par ses
généraux qui pactisent avec les Républicains du sud, le roi Christophe
se brûle la cervelle le 8 octobre 1820, à 9h du soir, au palais de
Sans-Souci. Voici peu, il a été victime d'une attaque cérébrale. Alors,
son fils l'aide à tenir l'arme. Vastey est témoin de la scène. « Vive
Henry II !» Il exhorte les gens présents à reconnaître aussitôt le
prince héritier pour nouveau souverain. Mais la foule envahit déjà les
couloirs du château...Arrêté, Vastey fut conduit le lendemain au
Cap-Henry avec la famille royale et les derniers dignitaires fidèles au
roi. Tous, sauf la reine et ses filles, tous furent décapités. Héroïque,
le fils du Jumiégeois accueillit, dit-on, la mort avec le plus grand
calme. Son corps fut jeté dans un puits avec les autres cadavres encore
chauds. C'était le 18 octobre 1820.
Le Jumiégeois d'origine
laisse donc quatre filles: Malvina, Aricie, mère du poète Oswald Durand,
Améthyste et Alice qui donnera un littérateur très en vue au XXe
siècle: Maurice Sixto. Rappelons que Jean-Valentin Vastey et Claire
Dumas ont eu d'autres enfants: Marie Émile. Et puis Léo, deux fois marié
dont descendance pléthorique. De par le monde, les De Vastey font
aujourd'hui florès. Mais qu'est donc devenu Jean-Valentin Vastey ?
Laurent QUEVILLY.
Notes
Il
subsiste une confusion sur la date de naissance de Pompée Valentin
Vastey. On donne tantôt 1781. Tantôt 1735. Cette dernière est
improbable. Sa sœur est née en 1790. Vastey tranche lui même la question
dans une lettre adressée adressée de Sans-Soucis le 29 novembre 1819 à
William Clarkson, abolitionniste anglais. Il est bien né en 1781 à
Ennery...
La mort de Pompée Valentin donne aussi matière à
controverse. On le dit décapité le 18 octobre 1820. D'autres avancent
qu'il tomba sous les balles des troupes de Boyer, président du Sud
d'Haïti, le jeudi 19 octobre.
Quelques sources
- Histoire d'Haïti, Thomas Madiou, 1826.
-
Revue d'histoire des colonies, 1936. (Témoignage de Jean-Marie Vastey.
Il pensait son bisaïeul originaire "de la Saintonge". La littérature
haïtienne site Jumièges avec constance).
- Black Majesty, John Womack Vandercook, 1928.
- I am Within The crowd, JC Fanini.
- Généalogie et héraldique.
- Biographie universelle.
- La France littéraire.
- Bibliotheca americana, Ch. Leclerc, 1887.
- Claude Ribbe, site et ouvrages.
- De l'oubli à l'histoire, Oruno D. Lara, 1998.